Cette nouvelle datée d’octobre 1915, ici traduite par Christian Mouze, n’avait jamais été retraduite depuis 1934, date à laquelle elle paraissait dans la traduction d’un certain Maurice. Il s’agit de Maurice Parijanine pseudonyme de Maurice Donzel.
Avec cette prose, Ivan Bounine (1870-1953), écrivain (nouvelliste, romancier) et poète, déploie son art de la sensation, portant un regard précis et ample à la fois sur le monde qui l’entoure au travers d’une constellation de personnages de classes et de catégories sociales diverses, les uns servant les autres, chacun saisi dans une distance, et selon le degré de leur apparition, trouvant à s’incarner dans la magie de son écriture.
Qu’il s’agisse du déclin d’un monde amené à disparaître, rappelé par le nom même du paquebot qui conduit le Monsieur de San Francisco accompagné de sa femme et de sa fille dans l’Ancien Monde depuis le Nouveau Monde, l’Atlantide, jusqu’à la ville de Babylone dont il est fait référence en exergue dans une citation extraite de L’Apocalypse (Chapitre 18), ou du déclin d’un homme que la mort soudaine emporte, tout ici est vacuité sans que toutefois la vie ne soit abandonnée à une noirceur par trop nihiliste.
D’après Bounine lui-même, l’histoire du Monsieur de San Francisco lui est venue alors que par hasard il tombait, au cours de l’été 1915 à Moscou, sur la couverture de Mort à Venise de Thomas Mann dans la vitrine d’une librairie : « Au début du mois de septembre 1915, alors que je rendais visite à une cousine dans la province d’Orel, je me suis souvenu de ce livre et de la mort soudaine d’un Américain qui était venu à Capri, à l’hôtel Kvisisana, où nous vivions alors, et j’ai immédiatement décidé d’écrire Mort à Capri, ce que j’ai fait en quatre jours — sans me presser, calmement, en accord avec le calme automnal des jours gris et déjà assez courts et frais dans le silence du domaine… Le titre Mort à Capri, je l’ai bien sûr barré dès que j’ai écrit la première ligne : ‘‘ Un monsieur de San Francisco… ’’ Et San Francisco et tout le reste (sauf un Américain réellement mort un après-midi au Kvisisana), je l’ai inventé… Mort à Venise, je ne l’ai lu qu’à la fin de l’automne, à Moscou. C’est un livre très désagréable. »
Thomas Mann, quant à lui, considérait tout autrement le texte de Bounine, dont, disait-il, « l’histoire, dans sa puissance morale et sa plasticité économe est à la hauteur de certaines œuvres les plus fortes de Tolstoï, Polikouchka et La mort d’Ivan Ilitch. »
Ivan Bounine reçut en novembre 1933 le prix Nobel de littérature. C’était la première fois que ce prix était décerné à un écrivain russe. Il est mort en exil, alors en France, misérable, sans être rentré en Russie.