Alain Blum et Emilia Koustova saisissent ici une part essentielle mais mal connue de l’histoire soviétique, en s’intéressant à sa dimension impériale et impérialiste, telle qu’elle se manifesta lors de l’annexion de la Lituanie et de l’Ukraine occidentale. En racontant le cheminement des centaines de milliers de déplacés, leur survie en déportation et leurs interactions avec le monde soviétique, ils font découvrir des dynamiques historiques dont les échos se font encore entendre aujourd’hui, à la croisée des histoires de l’exil, de la violence politique et de la construction de l’espace impérial russe.
« Comme un lièvre effarouché » : ce sont les mots qu’un habitant d’un village ukrainien couche sur un papier intercepté par les autorités soviétiques en 1949. En Ukraine occidentale et en Lituanie, comme partout dans les territoires est-européens devenus soviétiques en 1939-1940, puis à partir de 1944-1945, la peur d’être condamné à l’exil rôde depuis leur annexion et ne s’estompera qu’à la mort de Staline. Le bilan sera lourd.
Mêlant histoire par le haut et par le bas, Alain Blum et Emilia Koustova explorent les
mécanismes répressifs des déportations de masse et les trajectoires des victimes. Leur vécu oriente l’enquête, leur parole, longtemps ignorée, en est le cœur. Des centaines de lettres découvertes dans les archives et d’entretiens menés auprès des derniers témoins racontent la violence de l’arrachement, les épreuves imposées par la survie dans les confins glacés de la mer des Laptev, la taïga sibérienne et les steppes d’Asie centrale, puis un long, parfois impossible, retour vers les terres d’origine. Ces voix entretiennent une mémoire qui, encore aujourd’hui, imprègne les sociétés post soviétiques, et éclaire peut-être notre présent.