Après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, une blague a circulé à Moscou. Poutine meurt, et arrive en enfer. Après quelques années, il a droit à une journée de permission pour bonne conduite. Il va à Moscou, pousse la porte d’un bar, commande un verre et demande au serveur : « La Crimée est toujours à nous ? » « Oui, toujours. » « Le Donbass ? » « Aussi. » « Et Kiev ? » « Aussi. » Soulagé, Poutine finit son verre et demande : « Je vous dois combien ? » « 5 euros. »
En Russie, en Inde, en Iran, tourner le pouvoir en dérision peut vous envoyer en prison. En Afghanistan, les talibans ont interdit le rire. En Corée du Nord, les Kim posent hilares de père en fils mais confisquent le rire au peuple. Alors qu'elle se trouve sur une plage de Gaza avec des amis, en 2009, la journaliste palestinienne pro-laïcité Asmaa Al-Ghoul est arrêtée par des hommes en noir du Hamas : les femmes ne doivent pas rire trop fort.
Cette haine du rire vient de loin. Des siècles durant, le christianisme a considéré que le Christ n’avait jamais ri. Le Nom de la Rose, roman d’Umberto Eco situé dans la chrétienté médiévale, raconte la lutte d’un moine rationaliste contre un religieux fanatique, contempteur du rire. Chez Milan Kundera, l’étudiant Ludvik, personnage de La Plaisanterie, est persécuté par le régime communiste pour avoir blagué sur une carte postale destinée à celle qu'il courtise : « L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! »
Le rire rapproche les humains, que fanatiques et dictateurs cherchent à séparer. Il sape le pouvoir des tyrans, les ridiculise. Ce numéro rassemble des esprits libres, courageux, combatifs. Des rires pour résister, des rires pour exister.
- Un témoignage depuis les prisons russes, où Olga Smirnova, militante anti-guerre, dit : « Rire de l’absence de sens est bon pour la santé, intellectuelle et mentale. »
- Un retour sur l’incroyable destin de Germaine Tillion, ethnologue, résistante, maniant le rire pour survivre à la guerre et aux camps nazis.
- Un entretien avec le sociologue Michel Wieviorka, qui identifie un déclin de l'humour juif – « cette arme puissante face au malheur » – à la fin des années 90.
- Un portfolio sur le rire insolent des Kim en Corée du Nord.
- Un récit décapant de Iegor Gran dans la Russie des divinations, philtres d'amour, sorcières blanches et conversations avec les revenants. Pour comprendre le désir de surnaturel et la perméabilité des Russes aux fake news. Et s’en moquer.
- Et bien sûr, des blagues.
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