Si la poésie amoureuse, comme le relevait Nadejda Mandelstam, tient une place quantitativement modeste dans l’héritage du poète, on ne saurait la qualifier de « périphérique » pour autant que ces quelques poèmes marquent des jalons essentiels de son parcours. Préparant, lors de son exil à Voronej, une émission radio sur la jeunesse de Goethe, Ossip Mandelstam notait que les femmes aimées avaient été pour le poète allemand « les passerelles solides par lesquelles il passait d’une période à une autre ». Sans doute parlait-il également pour lui-même tant il est frappant que chacune des phases de son œuvre est encadrée, introduite et close par les quelques poésies que lui inspirèrent les différentes « muses » : Marina Tsvétaïéva et Olga Arbénina pour Tristia, Nadejda et Maria Petrovykh pour les Poèmes de Moscou, Olga Vaxel et Natalia Chtempel pour les Cahiers de Voronej… Avec le temps, au fil de l’œuvre, les « tendres Européennes » sembleront toutefois se fondre dans un même visage qui pourrait avoir nom Hélène, laquelle d’ailleurs apparaît en tant que telle, ici et là, et qu’il lui arrive d’opposer à sa femme Nadejda, dans la mesure où celle-ci avait fini par ne faire qu’un avec le poète dont elle a préservé les vers pour la postérité, par delà les vicissitudes tragiques de l’époque stalinienne et la Kolyma.