À l’heure où le bruit et la fureur ne seraient plus de mise en politique, où l’on prend garde de ne pas cliver et où l’on se doit d’éviter toutes paroles « problématiques », lire Lénine en philosophe du langage, c’est renouer avec une pratique du langage comme arme qui a fait de Lénine un redoutable polémiste et le penseur de la conjoncture.
Carburant à l’indignation et ne reculant jamais devant les noms d’oiseaux (pas même pour les adresser publiquement à ses camarades les plus proches quand ils défendent une ligne erronée), Lénine est l’auteur journalier de quantité d’articles polémiques, de discours, d’interventions dans des réunions de parti, de rapports au Comité central, de résolutions à présenter au vote, de recensions d’ouvrages littéraires… De cette production foisonnante Jean-Jacques Lecercle distille une pratique léniniste du langage.
On apprendra que le vrai n’est pas la même chose que le juste (le juste, c’est le vrai ajusté à la conjoncture) : « Il faut toujours dire la vérité aux masses », même si elle est amère, répète sans cesse Lénine et, le pouvoir pris, il aura de nombreuses occasions d’appeler un recul un recul. On comprendra aussi comment formuler un mot d’ordre et savoir s’en défaire lorsqu’il devient caduc.
Parce que la pratique militante est, on l’oublie peut-être, d’abord une pratique de la langue, ce livre offre un retour salutaire sur ce que parler veut dire en politique, sur ce que les mots d’ordre font de nous et sur la façon dont ils saisissent les imaginaires pour transformer le monde.