Au mois d'octobre 2023 Ginkgo réédite, en même temps que Tchevengour, deux autres des textes majeurs d'un des plus grands écrivains du XXe siècle, Andreï Platonov, qui avait depuis longtemps entièrement disparu des librairies :
La Mer de jouvence et Djann.
Georges Nivat et son épouse Lucile Nivat (parents de la journaliste Anne Nivat, spécialiste de la Russie) avaient traduit Djann en 1972, à l'époque où l'oeuvre de Platonov, interdite en URSS où l'auteur était mort en 1951 dans la misère et l'oubli, commençait tout juste à être publiée en Occident aux côtés de celles de Boulgakov, de Soljenitsyne et de tant d'autres. Mais se posaient alors le problème des versions, entre les manuscrits originaux, des copies circulant « sous le manteau » plus ou moins fautives, et les textes qui avaient pu être publiés dans des revues soviétiques mais défigurés par la censure. C'était le cas de Djann, auquel manquaient quatre chapitres finaux qui ne furent redécouverts qu'après la chute de l'Union soviétique. Pour cette réédition Georges et Lucile Nivat (âgés aujourd'hui de 88 ans), ont donc, de manière très émouvante, traduit ces derniers chapitres et revu leur traduction faite il y a cinquante et un ans, alors qu'ils avaient 37 ans et qu'ils participaient aux débuts des éditions de l'Âge d'homme.
Bien sûr le peuple djann n'a jamais existé. Ne le cherchez pas dans les atlas ethnographiques. Et ne cherchez pas de civilisation « djann » dans les salines infernales de la fosse de Sary-Kamych. Ce trou inhabitable, effondrement du sol en plein désert, entre l'Iran et la mer d'Aral n'a été choisi par Platonov que parce qu'il est un des points les plus arides, les plus infernaux de notre terre. Ce peuple minuscule, hétéroclite, plus mort que vif, qui erre à travers l'immense désert torride et sulfureux, ce peuple d'âmes (djann en persan est à la fois la vie et l'esprit), c'est le peuple des déshérités de la terre cherchant l'éternelle et toujours fuyante Terre Promise. L'aventure de Moïse ne s'achèvera jamais et Moïse toujours meurt avant de franchir le seuil de la Terre Promise.
Le peuple est le grand acteur des récits fantastiques et des mythes où Andreï Platonov, inlassablement, a tenté de résoudre l'énigme de l'histoire : où allons-nous, sommes-nous menés ou bernés par les Moïse qui nous entraînent aux portes du bonheur ? Existe-t-il un bonheur au fond du gouffre de Sary-Kamych ? A quoi sert de sortir d'Égypte, de faire la révolution, de pousser les hommes à la lutte si, exsangues, ils n'ont pas le bonheur pour immédiate récompense ? Pas le bonheur des prophètes qui nous font tourner en rond dans les sables ardents d'Arabie, mais le bonheur intime, palpable, chaud, sensible à nos mains, nos muscles et nos viscères... Conte mystérieux et symbolique, Djann est un des plus puissants textes de Platonov
La Mer de jouvence et Djann.
Georges Nivat et son épouse Lucile Nivat (parents de la journaliste Anne Nivat, spécialiste de la Russie) avaient traduit Djann en 1972, à l'époque où l'oeuvre de Platonov, interdite en URSS où l'auteur était mort en 1951 dans la misère et l'oubli, commençait tout juste à être publiée en Occident aux côtés de celles de Boulgakov, de Soljenitsyne et de tant d'autres. Mais se posaient alors le problème des versions, entre les manuscrits originaux, des copies circulant « sous le manteau » plus ou moins fautives, et les textes qui avaient pu être publiés dans des revues soviétiques mais défigurés par la censure. C'était le cas de Djann, auquel manquaient quatre chapitres finaux qui ne furent redécouverts qu'après la chute de l'Union soviétique. Pour cette réédition Georges et Lucile Nivat (âgés aujourd'hui de 88 ans), ont donc, de manière très émouvante, traduit ces derniers chapitres et revu leur traduction faite il y a cinquante et un ans, alors qu'ils avaient 37 ans et qu'ils participaient aux débuts des éditions de l'Âge d'homme.
Bien sûr le peuple djann n'a jamais existé. Ne le cherchez pas dans les atlas ethnographiques. Et ne cherchez pas de civilisation « djann » dans les salines infernales de la fosse de Sary-Kamych. Ce trou inhabitable, effondrement du sol en plein désert, entre l'Iran et la mer d'Aral n'a été choisi par Platonov que parce qu'il est un des points les plus arides, les plus infernaux de notre terre. Ce peuple minuscule, hétéroclite, plus mort que vif, qui erre à travers l'immense désert torride et sulfureux, ce peuple d'âmes (djann en persan est à la fois la vie et l'esprit), c'est le peuple des déshérités de la terre cherchant l'éternelle et toujours fuyante Terre Promise. L'aventure de Moïse ne s'achèvera jamais et Moïse toujours meurt avant de franchir le seuil de la Terre Promise.
Le peuple est le grand acteur des récits fantastiques et des mythes où Andreï Platonov, inlassablement, a tenté de résoudre l'énigme de l'histoire : où allons-nous, sommes-nous menés ou bernés par les Moïse qui nous entraînent aux portes du bonheur ? Existe-t-il un bonheur au fond du gouffre de Sary-Kamych ? A quoi sert de sortir d'Égypte, de faire la révolution, de pousser les hommes à la lutte si, exsangues, ils n'ont pas le bonheur pour immédiate récompense ? Pas le bonheur des prophètes qui nous font tourner en rond dans les sables ardents d'Arabie, mais le bonheur intime, palpable, chaud, sensible à nos mains, nos muscles et nos viscères... Conte mystérieux et symbolique, Djann est un des plus puissants textes de Platonov